Bienvenue au royaume du Talion

15 novembre 2013

Bienvenue au royaume du Talion

Malgré l’adage « nul ne peut se faire justice à soi-même », justice privée, vendetta, omerta, ont encore droit de cité dans les métropoles africaines et même au-delà. Cette gangrène, bien ancrée dans les mœurs témoigne-t-elle seulement à la fois de la défaillance des États africains et du manque de confiance des populations par rapport à la justice étatique. Une approche juridique du phénomène pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, une appréhension socioculturelle serait-elle plus féconde ?

« Le monopole de la violence physique légitime de l’État » de Max Weber, est supplanté par la « violence populaire » légitimée par les a priori que les populations se font sur l’État et sa structure juridique. Cette gangrène n’est pas le propre d’États africains en proie à une instabilité institutionnelle, elle est aussi présente même dans les États dits stables politiquement. En effet l’origine du mal n’est pas seulement l’absence d’État  et de ses institutions, elle est beaucoup plus profonde.

En sciences juridiques, la justice privée est toujours synonyme d’absence d’État, c’est une justice qui se déploie dans une société en proximité à la situation de l’état de nature, définition stricto sensu ...cette acception de la justice privée a le mérite de trancher la poire en deux parts : pas d’État, pas de justice, alors que des exemples de justice privée sont de plus en plus présents dans des États dits de droit.

Au Sénégal, la création de postes de chefs de canton, de village par le colonisateur et plus récemment de chef de quartier en ville n’est que des fac-similés institutionnels de vieilles structures qui ont existé jadis. D’ailleurs, il n’est pas rare jusqu’à nos jours, de voir des conflits soumis à l’arbitrage des « sages », ce n’est qu’en dernier recours que la justice est saisie. De telles pratiques séculaires démontrent l’ancrage de la justice privée dans les mœurs en Afrique.

Même le génocidaire mérite un procès équitable.                        

La mort de trois hommes, dont deux Français lynchés par une foule en furie à Madagascar,  n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. En effet Dakar, Douala, Lagos…bienvenue au royaume du Talion. C’est le même constat, les populations font régner leur justice privée expéditive et leur sentence reste identique partout : la peine de mort ; et les méthodes utilisées rivalisent de cruauté d’un pays à un autre : bûcher, lapidation, noyade, torture à mort …

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À Dakar les personnes prises en flagrant délit de vol, d’agression ,subissent la vindicte populaire jusqu’à ce que mort s’en suive. Les enquêtes policières menées suite à ces meurtres sont d’une désinvolture inquiétante, surtout lorsque les proches de la victime ne portent pas plainte ou encore lorsque la victime était un brigand notoire. Dans ce dernier cas de figure, c’est un ouf de soulagement pour la police. C’est cette violence qui explique qu’un malfaiteur poursuivi choisit de prendre le chemin du poste de police le plus proche pour se rendre que d’être appréhendé par ces poursuivants. Ironique non ?

La police, cet autre lieu de supplice, dont la disproportionnalité de la « violence légitime » rivalise avec les chambres de torture de Gitmo (Guantánamo). En ces lieux la notion de violence légitime est vivement éprouvée. Les bavures policières longtemps cachées, sont de plus en plus dénoncées au Sénégal, et devant le fait accompli, il n’y pas d’autres issues que d’organiser un simulacre de procès. Les sanctions prononcées par cette dernière « justice corporative » à l’encontre des coupables -de meurtre-sont un véritable coup de théâtre : peines assorties de sursis, sanctions administratives …

Le comble dans cette pratique de justice privée expéditive, c’est lorsque la victime est une pauvre innocente : ce sont les cas d’accusation de voleur de sexe ou de vieilles personnes accusées d’anthropophagie . Dans le premier cas, les victimes sont la plupart des cas d’étrangers ou de personnes aux accoutrements qui contrastent avec le paysage sénégalais. Dans le second, il s’agit le plus souvent de gens victimes de pauvreté et/ou vivant à l’écart des habitations qu’on accuse de mangeur d’âmes. Ces derniers faits sont beaucoup plus présents en milieu rural, où les suppliciés sont traînés nus, humiliés, bastonnés, et les coupables  de tels actes sont rarement inquiétés. Des scènes qui ne sont pas sans rappeler les tueries des personnes accusées de sorcellerie au Moyen Age en Europe.

Ce procédé moyenâgeux  de règlement de litige a de beaux jours devant lui en Afrique subsaharienne, puisque les autorités préfèrent se terrer dans un mutisme coupable, alors qu’on est face à un réel problème de société. N’est-il pas grand temps de mettre fin à ces tueries, inadmissibles au XXIe siècle a fortiori dans un État qui se dit démocratique !

 

À toutes les victimes de ces vindictes populaires et à leurs proches.

 

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